L’oeuvre de Marcel Proust : « … voir l’univers à travers les yeux d’un autre »

Publié le : 15 août 202048 mins de lecture

«Je dis que la loi cruelle de l’art est que les êtres humains meurent et que nous mourons nous-mêmes, après avoir épuisé toutes les souffrances, de sorte que l’herbe non de l’oubli, mais de la vie éternelle, pousse l’herbe épaisse des œuvres. fructueux, sur lequel les générations futures auront volontiers leurs «petits déjeuners sur l’herbe», peu importe qui y dort ».

Ce sont les mots d’une des dernières pages de Temps retrouvé, le livre pivot de la Recherche du temps perdu, le grand pilier sur lequel repose l’arc de la cathédrale proustienne, surgi ici de ces premiers mots, de la mémoire d’enfant de Swann’s Way. . Proust n’avait pas d’autre éternité, il n’avait d’autre foi que cette conviction dans la solidité et le salut de l’art. Un art construit à l’intérieur de l’homme, engendré par sa vie, mais animé par une sorte d’arrogance inhérente, qui dépasse les limites et la précarité de l’individu et s’impose dans la seule immortalité à laquelle croyait Proust. «Peu importe qui dort là-bas», ce n’est pas la voix du regret de l’artiste oublié, mais le signe d’une œuvre, qui ne l’a pas connue, ou l’a si bien connue pour la surmonter, la limite du temps.

Ennemi de toutes les biographies, hostile aux ragots ou aux recherches bienveillantes sur la vie du créateur, auquel seule sa créature doit faire confiance, Proust semble avoir mis en garde, dans l’un de ses écrits critiques notamment, le Cantre Sainte-Beuve, de se méfier de tout recherche biographique sur lui, en dehors ou au-delà de son travail. Et, en la lisant profondément et avec précision, en pénétrant la substance subtile comme une nacre de la «Recherche», en creusant à la base de cette gigantesque cathédrale des mots, la figure d’un homme émerge et délimite, d’abord à peine suggérée, puis toujours plus ferme et claire. Marcel Proust, à Paris au début des années 1900, élégant, très raffiné, un peu dandy et délicat. C’est le tableau récapitulatif qu’André Gide avait fait de lui, qui, après une lecture (ou une non-lecture,

N’ayant pas senti comment derrière le semblant d’une esthétique raffinée et précieuse se cachait surtout la substance d’une des analyses les plus rigoureuses sur le monde du XXe siècle et, plus encore, la vie bréviaire d’un homme, qui avait fait de l’art le raison de son existence, sorte de loi morale inflexible, sans préjugé et sans moralisme; ne pas avoir réalisé à quel point l’élégance formelle était l’un des moments les plus poétiquement et humainement éclairés de la littérature du XXe siècle était l’un des cas les plus embarrassants de myopie dans la culture européenne. Et Gide lui-même aurait plus tard dû faire amende honorable. Il a fallu, cependant, qu’un certain temps se soit écoulé pour que le noyau de l’esthétique proustienne soit compris, qui ne fait qu’un avec son éthique et est contenu dans une seule hypothèse, dans une absence rigoureuse de minuties ou de déviations: Proust a vécu pour donner, avec un travail lent, artisanal dans son cadre, cette œuvre unique, grande et (sans tomber dans le romantisme que ce soit) est mort le jour où, a fini de voir les dernières versions de The Prisoner, il a entendu son travail et a dit les choses qu’il voulait dire. Cela nous semble étrange, exagéré et en tout cas inhabituel, habitués que nous sommes de notre contexte culturel à considérer le livre comme tout autre produit de consommation plus ou moins immédiate, maintenant que la dimension de la communication (terme utilisé et abusé) passe, si il passe, par une série de stratifications, par des voies apparemment plus directes, en réalité brisées par des idéologies et des schémas a priori. Proust a vécu pour donner, avec un lent travail artisanal dans son cadre, cette œuvre unique et grande et (sans tomber dans aucun romantisme d’aucune sorte) il est mort le jour où, ayant fini de voir les dernières ébauches de Le prisonnier, il a entendu son travail et a dit les choses qu’il voulait dire. Cela nous semble étrange, exagéré et en tout cas inhabituel, habitués que nous sommes de notre contexte culturel à considérer le livre comme tout autre produit de consommation plus ou moins immédiate, maintenant que la dimension de la communication (terme utilisé et abusé) passe, si il passe, par une série de stratifications, par des voies apparemment plus directes, en réalité brisées par des idéologies et des schémas a priori. Proust a vécu pour donner, avec un lent travail artisanal dans son décor, cette œuvre unique et formidable et (sans tomber dans aucun romantisme) il est mort le jour où, ayant fini de voir les dernières ébauches de Le prisonnier, il a entendu son travail et a dit les choses qu’il voulait dire. Cela nous semble étrange, exagéré et en tout cas inhabituel, habitués que nous sommes de notre contexte culturel à considérer le livre comme tout autre produit de consommation plus ou moins immédiate, maintenant que la dimension de la communication (terme utilisé et abusé) passe, si il passe, par une série de stratifications, par des voies apparemment plus directes, en réalité brisées par des idéologies et des schémas a priori. excellent travail et (sans tomber dans les romantismes d’aucune sorte) est mort le jour où, ayant fini de voir les dernières ébauches de The Prisoner, il a entendu son travail accompli et a dit les choses qu’il voulait dire. Cela nous semble étrange, exagéré et en tout cas inhabituel, habitués que nous sommes de notre contexte culturel à considérer le livre comme tout autre produit de consommation plus ou moins immédiate, maintenant que la dimension de la communication (terme utilisé et abusé) passe, si il passe, par une série de stratifications, par des voies apparemment plus directes, en réalité brisées par des idéologies et des schémas a priori. excellent travail et (sans tomber dans les romantismes d’aucune sorte) est mort le jour où, ayant fini de voir les dernières ébauches de The Prisoner, il a entendu son travail accompli et a dit les choses qu’il voulait dire. Cela nous semble étrange, exagéré et en tout cas inhabituel, habitués que nous sommes de notre contexte culturel à considérer le livre comme tout autre produit de consommation plus ou moins immédiate, maintenant que la dimension de la communication (terme utilisé et abusé) passe, si il passe, par une série de stratifications, par des voies apparemment plus directes, en réalité brisées par des idéologies et des schémas a priori.

Proust, comme je le disais, a vécu pour achever cette œuvre unique, miroir d’un voyage fait par un homme pour se connaître au point de se connaître, apprendre à regarder le monde dans lequel il vivait, apprendre à sonder son entourage avec une précision absolue, dans le des manières les plus impitoyables, mais aussi de la seule manière possible. L’écrivain, qui jeune homme avait connu le goût et l’abandon de l’exaltation de l’art et de la beauté, apprendra au fil des années, avec l’effort d’une autodiscipline silencieuse et lente, à rechercher la lucidité. Un passage obligé vers la maturation, qui lui apprendra à tempérer les passions et les enthousiasmes sans se tarir, à les redimensionner sans les nier, comme cela se passera avec sa rencontre avec l’esthétique de John Ruskin, inconditionnellement vénérée d’abord, puis ramenée, dans une analyse plus aiguë , à une dimension moins excitante, mais pas pour cela diminuant la grande physionomie du critique anglais. Et puisque chez Proust toute expérience littéraire et esthétique devient une expérience de vie, de ces réinterprétations naîtra la capacité de regarder la réalité des hommes avec un ton détaché, dirait-on désabusé. Son univers, de l’étroit et provincial du village de ses vacances d’enfance, le Combray de la «Recherche», au très élégant, snob et aristocratique du Paris des Guermantes, passe sous le regard d’un regard curieux et subtil, un regard qui ne quitte pas échapper même au moindre défaut, ponctuellement enregistré par ce «je» du Narrateur, qui est et n’est pas Proust, mais qui est certainement la pierre angulaire de l’analyse. Le charme et la valeur du travail sont ici, justement dans l’impitoyable lucidité de l’écrivain, seulement si l’on sait identifier la magnanimité, qui est à l’origine de ce processus inflexible, la magnanimité qui signifie savoir éviter la tentation hypocrite d’une fausse piété ou d’une indulgence inutile. L’examen critique du Narrateur laisse plutôt place à la complexité infinie de l’homme et du personnage. La barrière manichéenne du bien et du mal tombe et la physionomie de l’individu reste avec des nuances infinies et changeantes. L’analyse proustienne est cruelle lorsqu’elle dévoile ses caractères, lorsqu’elle élague les leurs et leurs propres illusions; en dehors de la logique des classes et des classes, l’écrivain a connu et étudié l’individu et, de son observatoire, moins détaché du monde qu’on ne le pense, il a regardé,

La ligne du déroulement du récit, les digressions, les développements, en un mot cette familiarité insoupçonnée au sein de la monumentalité de l’histoire laisse au lecteur la sensation et, d’une certaine manière, la présomption d’une rencontre directe et réelle, où l’implication du l’écrivain dans le thème de l’œuvre devient de plus en plus évident, à tel point qu’il n’y a pas d’obstacles à la suppression dont il n’ait lui-même indiqué, tôt ou tard, la voie. L’itinéraire de ce voyage, qui a le mérite unique d’être le voyage dans la vie d’un homme et dans son temps, conduit à travers un processus d’abord imperceptible et discret, puis tenace et évident, à une analyse de soi, de la sienne. position du lecteur, abordée avec la prudence d’une mesure et d’un raffinement exquis, qui est dans les mots et les rythmes de l’écrivain.

Comme deux cheveux très fins et entrelacés, la fiction du roman et la réalité de la personne derrière le Narrateur s’entremêlent en deux personnages non identifiés, donnant forme et forme à un Temps, qui est à la fois conscient de sa propre corruptibilité et de son étrange immortalité. C’est un exercice de patience, mais aussi d’affection, d’essayer de démêler ces deux poils pour remonter à la racine, du cœur du poème proustien, aller chercher l’origine de l’œuvre et faire ressortir les traces cachées de ces petits (petits en par rapport à la magnificence du chef-d’œuvre achevé), qui a laissé la place au jeune amateur d’art, à la csteta raffinée d’une décadence mourante, pour devenir poète au sens le plus complet du terme. L’unicité de la création proustienne, la avoir travaillé pendant des années et des années dans la gestation silencieuse d’un seul grand roman nous permet de réaliser avec lui l’expérience insolite d’un entretien avec une présence réelle; que la conversation se déroule, par convention tacite entre écrivain et lecteur, à travers les pages d’une histoire plus ou moins simulée n’enlève rien à la réalité des deux interlocuteurs.

Ayant donné du temps, le temps très long de sept livres pleins de noms, de situations, d’observations, a la configuration d’un dialogue, pour lequel Proust a été le premier à préparer, affiner, à travers des années de tentatives, d’examens et de capacité d’explorer et de raconter une société et un monde, qui grandissent autour de lui, tandis que lui, doublé dans le rôle d’acteur et de spectateur, vit et observe ses changements. Pendant des années, l’écrivain a fait épreuve après épreuve, qui ressemblait à l’effort d’un aphasique, qui doit parler; cette recherche sans drame d’un mot à dire et le besoin de le dire dans la plus grande perfection possible concentrent la vie de l’écrivain en une seule pensée. Fasciné par son monde et par la réalité dans sa mutation infinie, proche de la noblesse mourante et défaite d’une France flétrie, soutenu par le climat familier d’une riche bourgeoisie cultivée et positiviste, il sentait sans aucune distorsion rhétorique, mais avec une subtile ténacité de détermination, qu’il appartenait à une sorte d’aristocratie mentale cachée, et avait donc le droit de regarder et de participer avec un œil critique à la réalité historique, sans en être débordé ou dédaigneusement détaché. Il suivra l’affaire Dreyfus et le fera avec l’enthousiasme de l’âge, mais sa position d’écrivain, évoluant au fil du temps, relira le même épisode sous deux connotations différentes, dans la passion impétueuse de Jean Santeuil d’abord, dans la Recherche ensuite, où le le pôle d’attention, légèrement dévié, permet d’appréhender les nuances et les ironies, qui indiquent bien plus clairement la position de l’auteur,

Le chemin de la maturation de l’homme et de l’écrivain va de pair et les travaux qui précèdent la Recherche en sont les témoins directs. À partir du premier livre publié à l’âge de vingt-cinq ans, avec l’aide bienveillante et peut-être peu convaincue d’Anatole France, Les Plaisirs et les jours, on commence à identifier des traces et des éléments précis, qui indiquent chez le jeune homme le premier embryon de l’écrivain, qui il sera formé dans la conviction qu’il est né pour une tâche spécifique, une tâche rigoureuse et presque scientifique. Tout comme son père était médecin, l’un des médecins les plus distingués et les plus respectés de Paris, il devait être écrivain. Il n’est pas étrange sur les lèvres de l’athée Proust le mot vocation, une vocation profonde, tenace, sûre d’elle-même au-delà de toute évidence possible, même quand il est découragé dans les moments d’insécurité, dans les moments de lassitude et d’impuissance poétique désolante. «Comme la graine, j’étais aussi destinée à mourir dès que la plante s’est développée, pour laquelle j’ai découvert que j’avais vécu sans le savoir. Sans le savoir dans la fiction littéraire, consciemment plutôt dans la réalité des faits. De plus, en dehors de la métaphore du roman, la graine qui meurt quand la plante pousse prend un aspect étrange, on ne sait pas s’il s’agit d’un aspect amer ou mélancolique ou triomphant de la vérité.

La chambre bordée de liège, où Proust vécut au lit depuis huit ans, avec les rares visites de quelques amis, la présence constante mais discrète et isolée de la bonne Celeste Albaret, et surtout la mort immédiatement après l’achèvement des travaux ressemblent à près de l’étouffement du sperme. La croyance qu’il est né pour écrire, la certitude d’avoir une sorte de responsabilité envers la société de son temps et plus encore envers l’éternité lui permettent de n’éprouver aucun scrupule à consacrer toute sa vie à se rapprocher de la mondanité en ruine du Faubourg Saint Germain. , le milieu aristocratique et snob, avec ses intellectuels et ses artistes, renonçant à se lancer sur la piste d’une éventuelle carrière, qui briserait ce rythme de vie particulier, avec une apparence dissipée et vide.

J’ai dit que Gide avait regardé avec suffisance d’écrivain engagé l’œuvre du mondain et idiot Marcel Proust. Et à première vue, le jugement de Gide aurait pu avoir un fondement: le précédent des plaisirs et les jours ne contenait rien de plus qu’un pathétique de salon intense, trop participatif, à mi-chemin entre l’ironie et le drame, dans une société d’amours finement décrites. , des passions, des ambiguïtés retenues par une pudeur narrative évidente et faussement désenchantée. A vingt-cinq ans, Proust n’ose pas encore se laisser emporter par le mystère de l’analyse, par le regard détaché sur la complexité des hommes. Et surtout, l’homme n’est pas encore mature, avant l’écrivain, à cause de ce dernier les nouvelles témoignent d’un goût narratif indéniable et de la sensibilité de l’observation: ceci aussi dans cet impalpable Indifférent, que l’auteur lui-même aurait rayé du recueil, mais dont la précision d’écriture ne fait aucun doute. Déjà maintenant, le jeune écrivain, caressé par ses amis et admiratif des visiteurs du salon de Mme Lemaire, sait qu’il n’a pas l’intention d’atteindre ni même de rechercher la gloire; au contraire, il semble clair que sa vie d’artiste, totalement liée à celle de l’homme, aspire la force vitale de l’un de la croissance de l’autre et la vocation, dont j’ai parlé plus tôt, exige des temps qui ne sont pas ceux de succès immédiat, mais plutôt une attente parfois décourageante. Combien décourageante ses lettres, écrites dans les dernières années du siècle, démontrent, quand la rédaction de Jean Santeuil, la première et énorme ébauche de la future Recherche, elle se prolonge d’épisodes, de considérations, mais elle ne se compose pas d’un fait organique, elle ne trouve pas sa synthèse. Les personnages du grand chef-d’œuvre sont déjà annoncés ici, avec l’ingéniosité de masques subtils, derrière de très légères altérations de noms, que l’auteur oublie parfois même de faire, et qui laissent entrevoir le modèle avec une transparence à la fois naïve et présomptueuse. . Evidemment immature pour faire la nécessaire synthèse entre réflexion et narration, immature pour saisir (et donc dissoudre) le nœud central de sa propre personnalité, il se laisse aller à la dérive sur le scories des enthousiasmes juvéniles, il s’abandonne à des conclusions trop hâtives et explicites, à la complaisance et des observations ironiques d’un monde, dont il fait trop partie intégrante, à tel point qu’elle le regarde avec une curiosité savante et presque enfantine et même avec envie. Celles-ci deviendront les émerveillements du Narratore della Recherche, lorsqu’il affrontera pour la première fois ce lieu sacré tant attendu, temple du passé et de l’histoire qu’est le salon de Guermantes. Mais le Narrateur est l’homme mûr, qui revient visiter ses origines dans sa mémoire, dont il a déjà éprouvé l’incohérence; il est donc capable d’une fidélité de reconstruction, d’un regard rétrospectif sur les mythes effondrés, sans crainte de la vérité, sans hésitation à raconter l’emphase du snob jeune et inexpérimenté des premiers succès mondains. temple du passé et de l’histoire qui est le salon des Guermantes. Mais le Narrateur est l’homme mûr, qui revient visiter ses origines dans sa mémoire, dont il a déjà éprouvé l’incohérence; il est donc capable d’une fidélité de reconstruction, d’un regard rétrospectif sur les mythes effondrés, sans crainte de la vérité, sans hésitation à raconter l’emphase du snob jeune et inexpérimenté des premiers succès mondains. temple du passé et de l’histoire qui est le salon des Guermantes. Mais le Narrateur est l’homme mûr, qui revient visiter ses origines dans sa mémoire, dont il a déjà éprouvé l’incohérence; il est donc capable d’une fidélité de reconstruction, d’un regard rétrospectif sur les mythes effondrés, sans crainte de la vérité, sans hésitation à raconter l’emphase du snob jeune et inexpérimenté des premiers succès mondains.

 

Le désir d’un exutoire nécessaire pour libérer un souffle encore retenu mais vital emprunte le chemin d’essais critiques, de passages écrits dans les journaux, et malgré leur brièveté, d’un grand intérêt méthodologique pour documenter la méthodologie de l’étude et la le caractère concret de la culture de l’écrivain. Parmi les fragments, les articles courts mais déjà très lucides (car dans la critique Proust atteint par avance la maîtrise latente du grand écrivain), peut-être l’essai le plus important de ces années apparaît, dédié à John Ruskin, le critique anglais mort en 1900, aimé comme maître d’une conception esthétique particulière, totalement en phase, même si elle ne correspond pas parfaitement, avec la passion des Français, dont l’apparente froideur analytique n’est que le résultat d’une mesure longtemps recherchée, dans lequel contenir et endiguer le désir de communiquer la nécessité intrinsèque de l’art. La considération «Peut-être dans l’art, l’enthousiasme est le critère de la vérité» ne signifie pas laisser libre cours aux émotions, mais recueillir le témoignage d’autrui dans une adhésion prudente et critique et se mesurer à elle.

Les essais critiques de Proust sont des moments de vie intense vécus: si estimé qu’il ait pu être, il n’a jamais mesuré l’œuvre d’art en termes de beauté, ou du moins fait de cette beauté une donnée nécessaire à la rencontre entre l’artiste et l’utilisateur. . La déclinaison du concept de Beauté, terme de référence aux implications différentes dans l’élaboration esthétique ruskinienne et proustienne, fait partie de l’introduction du livre de Ruskin La Bible d’Amiens dans la traduction française de Proust lui-même, d’autant plus que le premier a vécu une tension religieuse, tandis que Proust ne connaissait que le culte d’un art élevé au plus haut degré de perfection et d’essentialité. Mais, au nom à la fois d’un profond respect pour la stature artistique du critique anglais, tant pour cette affinité qui permet d’appréhender la même sensation ou une émotion identique sous deux angles visuels différents, c’est l’athée Proust qui a défendu la religiosité artistique du croyant Ruskin: «Pour un âge d’amateurs et d’esthéticiennes, un adorateur de la Beauté est un homme qui, ne pratiquant aucun autre culte que le sien, ne reconnaissant aucune divinité autre que la Beauté, passe sa vie dans la jouissance procurée par la contemplation voluptueuse de l’œuvre d’art. Or (…) La beauté ne peut être aimée de manière fructueuse, si elle n’est aimée que pour les plaisirs qu’elle procure. Et de la même manière que ne chercher le bonheur que pour le bonheur ne conduit qu’à l’ennui et pour le trouver il ne faut pas le chercher, le plaisir esthétique nous est donné en excès, si nous aimons la Beauté pour elle-même, comme quelque chose de réel existant hors de nous et infiniment plus important que la joie qu’il nous procure ». Dans ce passage, qui d’ailleurs ne trahit pas son caractère, Ruskin est devenu une sorte de prétexte, un écran à partir duquel se définit clairement la première définition de l’esthétique proustienne.

Ce sont, dans lesquelles écrit Proust, les années du grand ferment naturaliste: l’écho de la révolution littéraire apportée par Zola est plus présent que jamais dans la culture française et se répand comme une traînée de poudre dans le monde littéraire européen. C’est le moment où un populisme convaincu espère et travaille pour un récit qui doit atteindre les gens des couches les plus humbles; on ne parle pas encore en termes de masse, mais le concept est déjà latent. Le peuple est le centre d’intérêt, la polémique contre la tour d’ivoire de l’intellectuel et de l’artiste surgit et le nom de la réalité, l’adhésion au critère du réalisme est crié fort.

La position de Proust est au moins anormale et courageuse, au-dessus des partis. Pas de conception même pour un populisme bien intentionné: avant tout l’homme est un individu, sa réalité passe par un très fin tamis d’émotions, de sensations, d’images, qui ne sont que des expériences individuelles, tellement plus uniques et irremplaçables . UNE. monde de signes inconnus. Et «quant au livre intérieur de tels signes inconnus (…) personne ne pouvait m’aider avec aucune règle pour le déchiffrer: parce que sa lecture consiste en un acte de création dans lequel personne ne peut nous remplacer et collaborer avec nous. Combien regardent donc cette lecture? ». Ensuite, il ne reste plus qu’à choisir entre aller au sondage de soi, une opération si douloureuse et ingrate, mais nécessaire, ou abandonner l’entreprise et chercher la compagnie d’une foule, qui n’est qu’un refuge pour ceux qui ont échappé à la première tâche de tout homme, qui est de connaître le monde, d’abord se connaître soi-même. «C’est l’instinct de dicter le devoir et l’intelligence fournit les prétextes pour y échapper. Sauf qu’en art les excuses ne sont pas valables (…) ce qui veut dire que l’art est le fait le plus réel, l’école la plus austère de la vie et le vrai Jugement Final ». Peu de croyants ont peut-être ressenti ce Jugement si impérieux et inévitable qu’ils n’ont vécu qu’en fonction de ce moment. Cette porte étroite, seule voie de salut, qui est aussi le cas rare, destinée à quelques privilégiés, est une sorte de source intarissable et proche, seulement si vous avez le courage de la toucher. Car, si c’est à quelques-uns de répondre à un tel appel impératif, il pourrait appartenir à beaucoup de déchiffrer,

La condition de ceux qui ne savent pas la reconnaître et la traduire est faite d’une nostalgie perdue: «Les belles choses que nous écrirons sont indistinctes en nous, comme le souvenir d’un air qui nous enchante, sans pouvoir trouver son chemin, le fredonner, ni pour donner le dessin quantitatif, pour dire s’il y a des pauses ou des séries de notes rapides. Ceux qui sont obsédés par ce souvenir confus de vérités qu’ils n’ont jamais connues sont des hommes intellectuellement doués. Mais s’ils se contentent de dire qu’ils sentent bon, ils n’indiquent rien aux autres, ils n’ont aucun talent. Le talent est comme une sorte de mémoire capable de leur permettre de finir par amener cet air indistinct près d’eux, de l’entendre clairement, de le noter, de le reproduire, de le chanter. Il arrive un âge où le talent s’affaiblit avec la mémoire, et dans lequel le muscle mental qui s’approche des souvenirs internes et externes n’a plus de force. Parfois, cet âge dure toute une vie, faute d’exercice, pour une auto-satisfaction trop rapide. Et personne ne saura jamais, pas même ceux qui l’entendent, l’air qui nous hantait avec son rythme insaisissable et enchanteur ». Mais la relation qui s’ouvre entre ceux qui ont déchiffré cette musique, ceux qui ont reconnu en exil la patrie perdue d’où vient chaque artiste, et ceux qui, à travers l’artiste lui-même, l’ont approchée et ont senti la sienne, est le but de départ pour le chemin vers la vérité. l’air qui nous hantait avec son rythme insaisissable et enchanteur ». Mais la relation qui s’ouvre entre ceux qui ont déchiffré cette musique, ceux qui ont reconnu en exil la patrie perdue d’où vient chaque artiste, et ceux qui, à travers l’artiste lui-même, l’ont approchée et ont senti la sienne, est le but de départ pour le chemin vers la vérité. l’air qui nous hantait avec son rythme insaisissable et enchanteur ». Mais la relation qui s’ouvre entre ceux qui ont déchiffré cette musique, ceux qui ont reconnu en exil la patrie perdue d’où vient chaque artiste, et ceux qui, à travers l’artiste lui-même, l’ont approchée et ont senti la sienne, est le but de départ pour le chemin vers la vérité.

Proust, qui a gardé foi, dans le cours de son œuvre, au principe de l’indifférence de l’auteur envers le public, se moquant de ceux qui tentaient de l’accepter par tous les moyens, a en effet atteint son interlocuteur par cette voie et de la manière la plus directe, sans l’envelopper dans un groupe standardisant, plutôt le trouver, un seul individu avec ses particularités et sa sensibilité, pour l’appeler à un face-à-face: « … je ne leur aurais pas demandé ni de me louer ni de me blâmer, mais seulement de dis-moi si c’est vraiment comme ça, si les mots qu’ils lisent en eux-mêmes sont exactement ceux que j’ai écrits ». C’est un appel explicite, une invitation à parler de ce que la capacité poétique d’un autre éveille et illumine. L’art est devenu le trait concret d’union entre l’homme et l’homme: l’aimer ne fait pas partie exaltation passagère d’un moment, car elle n’est pas le résultat d’une insouciance immédiate: «Peut-être, s’il était au pouvoir de chacun d’être frappé par l’amour pour une œuvre d’art comme il est au pouvoir de chacun (du moins il semble) d’être frappé par l’amour pour une personne du sexe opposé (je parle du véritable amour), on se rendrait compte que le véritable amour pour une œuvre d’art est rare et que les innombrables plaisirs artistiques dont parlent des gens doués et harmonieusement vivants réglementés sont bien inférieurs à un tel amour ». Mais cet amour peut naître, et est plus durable, plus enraciné, lorsqu’il est le résultat d’une assimilation lente, d’une connaissance, qui fait du chef-d’œuvre un fait découvert lentement, jour après jour, né dans le cœur de ceux qui le rencontrent, ainsi que est né entre les mains de ceux qui l’ont créé,

Il vaut la peine de voyager avec Proust à travers la délicatesse de sa découverte de l’un des plus beaux monuments du gothique français, la cathédrale d’Amiens, préparée dans l’esprit de l’écrivain en lisant Ruskin. «C’était une journée splendide, et j’étais arrivé à l’heure où le soleil fait sa visite quotidienne à la Vierge, jadis dorée, et qui ne dore désormais que dans les moments où il les rend, aux jours où il brille, presque un splendeur différente, fugace et plus douce. (…). C’était l’heure de la visite à la Vierge; et à cette caresse momentanée elle parut transformer son sourire séculaire.  » La grandeur de la cathédrale et la douceur de la statue de la Vierge prennent forme et s’élèvent (car c’est une véritable élévation de la sphère esthétique à celle du sentiment) de l’immobilité de la pierre à la souci amical pour un vrai accueil. Qui, revenant visiter une ville, voir un tableau ou entendre une musique déjà connue, n’a pas connu cette dimension d’attente d’abord puis de rencontre? Un sentiment beaucoup plus solide que la curiosité, surtout la curiosité artistique et savante, et qui rend la deuxième fois tellement plus douce que la première, qui avait aussi l’enthousiasme de la nouvelle sensation et de la découverte, mais pas encore la ténacité de la mémoire et de la l’affection, la familiarité de fréquenter, nécessaire dans la relation à un objet ou avec un lieu, comme dans la relation à une personne. se rencontrer alors? Un sentiment beaucoup plus solide que la curiosité, surtout la curiosité artistique et savante, et qui rend la deuxième fois tellement plus douce que la première, qui avait aussi l’enthousiasme de la nouvelle sensation et de la découverte, mais pas encore la ténacité de la mémoire et de la l’affection, la familiarité de fréquenter, nécessaire dans la relation à un objet ou avec un lieu, comme dans la relation à une personne. se rencontrer alors? Un sentiment beaucoup plus solide que la curiosité, surtout la curiosité artistique et savante, et qui rend la deuxième fois tellement plus douce que la première, qui avait aussi l’enthousiasme de la nouvelle sensation et de la découverte, mais pas encore la ténacité de la mémoire et de la l’affection, la familiarité de fréquenter, nécessaire dans la relation à un objet ou avec un lieu, comme dans la relation à une personne.

En un certain sens, c’est la clé de voûte (l’une des nombreuses dans l’immense monde de la Recherche) de cet enchevêtrement de souvenirs et de retours lentement démêlé, cette capacité totale à jouir de la nature et de la créativité de l’homme. Ce plaisir des choses que, vers les mêmes années, D’Annunzio exhibait sous la forme d’un esthétisme lourd et morbide, sensuel et trouble, chez Proust est un hymne continu à la complexité de l’homme, à la fluidité qui coule autour de lui, à l’indéniable beauté de la matière et le plaisir libérateur et conscient de la déguster. Le sentiment sombre du péché, de la culpabilité et de la rébellion sourde, qui chez notre poète engendre le pâturage collant du vrai, beau et stérile, trouve une dimension cristalline dans la poétique de Proust. Pourtant, Proust lui-même a connu par expérience directe, recherché et conduit à l’extrême, la dégradation de l’homme; il l’a vécu sur lui-même, essayant de rechercher le plaisir physique jusqu’à l’abjection. Et la clarté avec laquelle il a vécu la descente dans ce genre de marais, qui sera le «Sodoma et Gomorra» de la Recherche, est déconcertante et bouleversante. Ce n’est pas une descente Dante aux enfers: trop impliqué et directement dans l’enchevêtrement du mal et de la dégénérescence, il la ressentira comme une expérience profondément personnelle. Mais, dans le drame d’une telle profanation de lui-même, il entretient certainement, sinon un détachement, l’extraordinaire prévoyance de son destin. La rédemption de cet enfer lui viendra, et ce ne sera pas un acte d’orgueil, de la conscience présente au moment même de l’abandon, pour que l’homme vive son histoire en symbiose avec l’écrivain et, dans la capacité de dire et d’analyser le mal, il trouve sa sortie. Il y a une sorte de purification retrouvée ou de pureté jamais perdue, même dans les passages les plus sordides de la vie de l’écrivain, qui portent fruit dans certains des personnages du poème, comme la figure énigmatique de la fille de Vinteuil, qui profanait et insulté son père mort, crachant sur son portrait avant de se livrer à des plaisirs illicites avec l’un de ses partenaires; geste répugnant, mais à sa manière chargé d’une tendresse ardente et désespérée, d’un désir de pardon ignoré, avant même le sentiment de culpabilité. La tendresse et presque le sacré qui feront en sorte que l’œuvre musicale de Vinteuil, inconnue et fragmentée, soit remontée par les deux femmes avec une œuvre patiente, qui rendra la renommée posthume d’un grand musicien est obscur professeur provincial. La Sonate de Vinteuil et le Settimino parcourent l’œuvre de Proust comme fond musical, parfois dormant, puis péremptoirement émergeant, d’un émail intact et très pur.

Bien sûr, quelque chose dans la science obscure du mal que Proust a connue avec l’expérience directe lui a appris à dépasser d’abord l’apparence, de la même substance ensuite, à reconnaître le substrat très fragile et changeant de l’homme. Il ne pouvait tirer aucune confiance, aucun optimisme: ses déclarations à cet égard sont dures, péremptoires: «(L’amitié) est une si petite chose, que j’ai du mal à comprendre que des hommes de génie, comme Nietzsche, ont eut l’ingéniosité d’attribuer une certaine valeur intellectuelle et, par conséquent, de refuser certaines amitiés avec lesquelles l’estime intellectuelle ne pouvait s’accorder. Oui, j’ai toujours été étonné à l’idée d’un homme qui poussait la sincérité avec lui-même au point de se détacher, par conscience, de la musique de Wagner, qu’il avait imaginé que la vérité peut être réalisée dans un mode d’expression naturellement si déroutant et inadéquat, comme le sont généralement nos actes extérieurs et nos amitiés en particulier, et qu’il peut y avoir une signification valable au fait de quitter le propre travail pour rendre visite à un ami et pleurer avec lui sur la fausse nouvelle de l’incendie du Louvre. Tout l’effort d’amitié consiste à nous faire sacrifier la seule partie réelle et incommunicable (sinon par l’art) de nous-mêmes, à un «je» superficiel qui ne trouve pas – comme l’autre – sa joie en lui-même, mais trouve un adoucissement confus dans le sentiment d’être soutenu par des accessoires externes, hébergé par une individualité étrangère, où, heureux de la protection qui lui est accordée, il exhale son bien-être dans des avenants gratuits et s’émerveille de la qualité, qu’il appellerait des défauts et chercherait à corriger en lui-même. En revanche, les méprisants de l’amitié peuvent, sans illusions et non sans remords, être les meilleurs amis du monde ».

Ceux qui font face à une telle démolition de l’amitié en fait tout au long de leur vie ont cultivé un sentiment tenace et recherché la compagnie des autres avec des implications de tendresse féminine. La même amertume et le même sentiment d’impuissance et d’inaccessibilité sont dans la conception de l’amour, de tout amour, de l’amour filial à celui entre les deux sexes. Pourtant, de la désillusion et de la conscience de la réalité des choses, Proust a déduit, à côté d’un respect intégral de l’amour sous toutes ses formes et facettes, une capacité pénétrante de compréhension pour ceux qui aiment, quel que soit l’objet de ‘ l’amour: entre les lignes du roman passent, projeté un à un, non seulement les terribles traumatismes et tourments de la jalousie, mais tout le mécanisme complexe qui amène un être vers un autre et l’emprisonne dans une bobine, qui échappe totalement à la réalité physique de l’objet aimé, pour se nourrir de lui-même. Une sorte de solitude sombre, inconsciente, cachée par un espoir inutile et désabusé. Combien terrible et vraie est ici la conviction de l’écrivain que la réalité de l’homme et de l’artiste éprouve une proximité fortuite, deux personnes différentes dans le même corps; et des deux, l’artiste reçoit la lucidité, ce que l’homme est nié, de sorte que ce dernier continue à poursuivre ce que l’autre sait qu’il est inaccessible et absent. les artistes vivent une proximité occasionnelle, deux personnes différentes dans le même corps; et des deux, l’artiste reçoit la lucidité, ce que l’homme est nié, de sorte que ce dernier continue à poursuivre ce que l’autre sait qu’il est inaccessible et absent. les artistes vivent une proximité occasionnelle, deux personnes différentes dans le même corps; et des deux, l’artiste reçoit la lucidité, ce que l’homme est nié, de sorte que ce dernier continue à poursuivre ce que l’autre sait qu’il est inaccessible et absent.

Sur le thème de l’amour, cependant, la solidité concrète de l’art est réengagée. La familiarité avec le mystère se compose et se rompt au moment où l’art, comme la Vierge d’Amienoise, devient un thème aux côtés de l’amour, du rythme quotidien, de la mémoire. La Sonate de Vinteuil à Swann est encore plus présente qu’Odette elle-même, la femme désespérément aimée; la beauté de Venise est liée à l’amour du Narrateur pour Albertine, tout comme les tableaux de Carpaccio, dont sont nés les tissus des peignoirs de Fortuny, donnés à Albertine peu avant sa mort. C’est cela va chercher dans les visages quotidiens le trait qui les unit à la grande peinture qui fait de l’art une réalité et l’introduit dans la vie. L’amateur d’art raffiné, Charles Swann, tombe amoureux d’Odette, la mondaine de belle grande classe d’une beauté fanée et défaite, seulement quand elle reconnaît en elle les traits de la Sefora de la fiotticela. Pour une étrange alchimie, art et vie, imagination et réalité sont complétés et forment le thème de base de la symphonie proustienne, ils prennent un caractère concret semblable à la réalité des personnages du roman, lorsqu’ils s’estompent et s’effondrent ou se composent dans les transfigurations de la mémoire et impression. Tout consiste dans l’esprit de l’homme, dans sa capacité à collecter des moments et des impressions, restés inertes, jusqu’à ce qu’un rien ne les fasse revenir à la réalité avec la même fraîcheur du moment vécu. Parce qu’il n’y a pas d’intelligence et de rationalité dans la mémoire, mais une synthèse éblouissante, qui imprègne le présent du passé et le ramène non comme un souvenir, mais comme une présence. C’est un étrange,

Un seul est le tourment douloureux et non résolu de l’artiste: comme un roi Midas à l’envers, il perd, détruit l’or des choses au moment où il tend les mains pour les prendre, et le moment du désir ne se réalise jamais dans le bonheur de possession. C’est la logique qui accompagne l’histoire de la Recherche et revient comme une spirale pour ouvrir et fermer chaque histoire individuelle, dans les moindres détails de l’histoire, comme dans ses «grands» plus aérés. De l’amour de Swann, aux rencontres juvéniles du Narrateur, à la formidable expérience de possession et d’annulation avec Albertine, aux images inutiles évoquées chez l’enfant au nom mythique et calme des Guermantes: tout devient évanescent, nuancé et inconsistant, comme les figures de son lanterne magique, dans le

Swann épousera Odette, quand son amour pour la femme se sera évanoui, ainsi le Narrateur retrouvera Gilberte, quand le «je» qui l’aimait sera mort. Le thème de la mort se répète à l’infini, des nombreux morts, suivis de résurrections sans éternité, prélude à la fin suivante. La peur de la mort, que le XXe siècle a ressentie et ressent encore avec une violence particulière et a donc tenté d’exorciser et de nier, prend chez Proust l’aspect domestique d’une fin vécue au jour le jour, à chaque fois qu’un désir envahissant nous abandonne. . L’homme qui réémerge est une créature totalement nouvelle qui, regardant autour de lui, reconnaît les contours et la consistance des choses, mais ne ressent plus leur saveur ancienne, dont il ne perçoit qu’une froide nostalgie. L’éternité que le l’homme pense désirer n’est rien d’autre qu’une erreur de perspective, la cristallisation d’un moment destiné à s’épuiser. La peur même de la fin physique se résout dans ce conflit de mémoire et d’oubli.

Proust, disais-je au début, est l’un des moments les plus éclairés de notre vingtième siècle et sur ce point surtout sa profondeur d’analyse réussit à briser, à effacer ce résidu de romantisme suffisant qui traverse tant de littérature européenne; lui, si fasciné par l’assonance, par la musicalité de la poésie, sensible à l’extrême au raffinement stylistique, n’a jamais perdu de vue les limites de l’austérité absolue. Le monde mourant de l’Europe au bord de la guerre, qui traîne sa fin dans un magnifique cortège funèbre, émerge sans voiles ni euphémismes, mais sans complaisance moralisatrice vers la marche fière de ceux qui sont en route vers sa condamnation.

Ce sont en grande partie ses racines culturelles qui donnent à l’écrivain cette lucidité pénétrante, la pureté du style et le plaisir de composer, mot pour mot, la phrase et l’image. Imprégné par l’histoire littéraire de la France, il fait ressortir à travers lui les rythmes, les sons et les harmonies d’une langue, qui est clairement le fil qui lie une tradition au sens le plus élevé du mot au cours des siècles. Ses analyses critiques sont explicites à cet égard (les essais consacrés à Baudelaire sont la déclinaison en prose du chant du poète): dans la précision de la confrontation de la musicalité du vers, de l’harmonie entre rythme et contenu il y a une confrontation continue avec le poète . Lire une œuvre, c’est d’abord partir à la recherche de ses thèmes les moins découverts, les retrouver dans les implications, les renverser pour chercher le code le plus secret et médiatiser le passage à une nouvelle créativité de cette découverte. Des histoires de George Sand, aux Mémoires de Chateaubriand d’outre-tombe, en passant par la lecture de ses contemporains, en particulier M.me de Noailées, Proust n’a fait que pénétrer dans un lac toujours plus profond et plus large, essayant d’en ressentir les courants. Homme d’une immense culture, il a vécu son érudition comme une nécessité, le chemin inévitable pour déchiffrer son origine et donc sa continuité. Ce travail qu’il demandera à juste titre à ses lecteurs était l’engagement continu de sa maturation intellectuelle. C’est aussi l’amour pour les œuvres de ceux qui l’ont précédé, la sensibilité à leur valeur qui ont fait de lui le merveilleux continuateur. «(…) vous ne pouvez faire ce que vous aimez qu’en le reniant. (…) Sans aucun doute, quand on est amoureux d’une œuvre, on aimerait faire quelque chose d’assez similaire; mais il faut renoncer à l’amour du moment et ne pas penser à ses propres préférences, à une vérité qui ne se demande pas quelles sont nos préférences. Et ce n’est que si nous le suivons qu’il peut arriver que nous retrouvions ce que nous avions abandonné et écrivions, inconscients d’eux. Les Mille et Une Nuits ou les Mémoires de Saint Simon d’une autre époque ».

L’essai Cantre Sainte Beuve, écrit avant de concevoir la Recherche, s’ouvre sur un constat étrange: «Chaque jour, j’attribue de moins en moins de valeur à l’intelligence. Chaque jour je me rends compte de plus en plus que ce n’est qu’indépendamment d’elle que l’écrivain peut à nouveau saisir quelque chose de ses impressions, c’est-à-dire quelque chose de lui-même et la seule matière de l’Art ». Nés d’une intelligence extraordinaire, ces mots sont l’évocation d’une force non déchiffrée à son origine, la force d’une auto-communication nécessaire, au point de trouver les moyens les plus indirects, les plus étranges et cachés de se faire entendre. Dans l’œuvre finale, «les intermittences du cœur» seront, à partir desquelles se dérouleront les images, les reconstructions, la substance du poème proustien. L’évidence accablante est telle précisément dans la mesure où leur transparence ne demande qu’à être pénétrée par elle-même, elle ne se perd pas dans la théorisation, dans les explications. Surtout, elle n’a pas peur de ne pas être comprise. Pour cette raison, Proust ne voulait rien dire de lui-même, sauf derrière le mince voile de son «absence» très discrète et ironique.

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